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Al-Qaïda, le terrorisme fabriqué indispensable à l’Occident
Comment en finir avec la "Guerre
contre la Terreur" déclenchée par les USA en 2001 si l’on ne comprend
pas comment le terrorisme islamique est né, quels intérêts il sert, et
par qui il est utilisé encore aujourd’hui ? A travers une analyse
historique passant par l’Afghanistan, les Balkans, l’Algérie, ou encore
la Palestine et Israël, le spécialiste en terrorisme international
Nafeez Mosaddeq Ahmed – l’un des principaux protagonistes du film "ONE – Enquête sur al-Qaïda"
– nous aide à démêler cet écheveau apparemment incompréhensible des
réseaux terroristes que l’on appelle la nébuleuse "al-Qaïda". Notez que
le texte ci-dessous, issu de travaux initiés dès 2002, a été rédigé en 2009 et ne contient donc pas de références aux récents événements (printemps arabes, mort de ben Laden, Libye, Syrie, etc.) mais permet certainement d’en comprendre les tenants et les aboutissants.
Qu’est-ce qu’al-Qaïda ? Qui tire les ficelles du terrorisme islamique ?
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Nos terroristes
par Nafeez Mosaddeq Ahmed, pour le New Internationalist magazine, octobre 2009
Nafeez Mosaddeq Ahmed : spécialiste du terrorisme international, auteur du livre "La Guerre contre la vérité" aux Editions Demi-Lune. Il est à la tête de l’Institute for Policy Research & Development de Brighton. Son livre, La Guerre contre la liberté : Comment et pourquoi l’Amérique a été attaquée le 11 Septembre 2001, est un bestseller qui lui a valu la plus haute distinction littéraire italienne, le Prix de Naples. Titulaire d’une maîtrise à l’université du Sussex, il y prépare actuellement un doctorat en Relations Internationales. Chroniqueur politique pour la BBC, Nafeez AHMED a été élu expert mondial pour la guerre, la paix et les affaires internationales par le Freedom Network de l’International Society for Individual Liberty en Californie. Il a récemment commenté l’annonce de la mort d’Oussama Ben Laden le 2 mai 2011. Voir son interview ici.
Les militants fondamentalistes islamiques sont les ennemis d’Israël et des gouvernements occidentaux, n’est-ce pas ? Eh bien, voyez par vous-mêmes.
Il fut un temps où la CIA entrainait, finançait et soutenait Oussama ben Laden
et ses réseaux de moudjahidines en Afghanistan pour repousser
l’invasion soviétique. Après la fin de la Guerre froide, ben Laden se
retourna contre l’Occident et on n’eut plus jamais recours à ses
services. Ses attaques insistantes contre nous pendant plus d’une
décade, culminant avec le 11-Septembre, nous conduisirent à répliquer,
en menant la « Guerre contre la Terreur ». Voilà pour l’histoire
officielle. Mais cette histoire est fausse. Non seulement les services
de renseignement occidentaux continuèrent de renforcer les réseaux
islamistes extrémistes et les groupes terroristes liés à al-Qaïda après
la Guerre froide, mais ils poursuivirent [cette politique] même après le
11-Septembre.
Le djihad de la CIA
L’histoire commence à l’été 1979, six
mois avant l’invasion soviétique, alors que la CIA avait déjà commencé
de financer les éléments d’une force de moudjahidines islamistes qui
émergeait en Afghanistan. L’idée, d’après l’ancien conseiller à la
Sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, et l’ancien Directeur de la CIA, Robert Gates, était d’accroître la probabilité d’une invasion soviétique, et de piéger « les Soviets dans un bourbier vietnamien. » [1]
Oussama ben Laden arriva en Afghanistan plus tard dans l’année, envoyé par le chef des services secrets saoudiens, le Prince Turki Al-Faisal, et il y installa le Maktab al-Khidamat (MAK) qui permit de financer, recruter et entraîner les moudjahidines. [2]
Ben Laden, le MAK, et les moudjahidines afghans reçurent de la CIA
environ un demi-milliard de dollars par an au total, et à peu près
autant des Saoudiens, le tout étant acheminé par l’ISI (Inter-Services Intelligence), le service de renseignement pakistanais.[3]
Vers 1988, comme l’indiquait le Jane’s Defence Weekly, « Avec
la connaissance des États-Unis, ben Laden créa al-Qaïda (la Base): un
conglomérat de cellules islamistes terroristes quasi indépendantes les
unes des autres, reparties à travers au moins 26 pays ».[4]
Les agences de renseignement des États-Unis et des pays occidentaux
faciliteront le processus, voyant dans les mouvements conservateurs
islamistes un [excellent] contrepoids aux courants communistes, de
gauche, ou nationalistes. Ils aideront les Saoudiens et d’autres pays du
Golfe, tout comme le Pakistan, la Turquie et l’Azerbaïdjan – entre
autres- , à multiplier les institutions islamistes extrémistes dans des
pays aussi éloignés les uns des autres que l’Algérie, le Yémen,
l’Indonésie, et les Philippines. Avec les fonds destinés à ces
activités, de véritables centres financiers du crime organisé
s’implanteront en Malaisie, à Madagascar, en Afrique du Sud, au Nigéria,
en Amérique latine, en Suisse, au Royaume-Uni, au Turkménistan et
ailleurs encore.[5]
L’islamisme et la doctrine de déstabilisation de la CIA
Après la chute de l’Union soviétique, et
en particulier en 1991 quand les Saoudiens acceptent de voir stationner
300 000 soldats états-uniens au moment de l’invasion du Koweït par
l’Irak, Oussama ben Laden se retourne soi-disant contre ses anciens
maîtres à Riyad et Washington. Depuis lors, ben Laden et son réseau
terroriste al-Qaïda deviennent nos ennemis, ciblant les citoyens et les
intérêts occidentaux pendant toutes les années 1990, et perpétrant
l’attaque la plus dévastatrice de toutes, avec les atrocités du
11-Septembre aux États-Unis.
Malheureusement, c’est là que l’histoire
officielle commence à flancher. Car après 1991, les islamistes affiliés
à al-Qaïda ont continué de bénéficier d’un soutien sélectif des agences
de renseignement occidentales. Cette politique fut révélée par Graham Fuller, directeur adjoint du Conseil national du renseignement (National Council on Intelligence) de la CIA, quand il expliqua : «
La politique consistant à guider l’évolution de l’Islam et à aider les
musulmans contre nos adversaires a parfaitement fonctionné en
Afghanistan contre l’Armée rouge. On peut encore recourir aux mêmes
procédés pour déstabiliser ce qui reste du pouvoir de la Russie, et en
particulier pour contrer l’influence chinoise en Asie centrale. »[6]
L’Afghanistan, le Big Oil et les talibans
Au
cours des années 1990, le soutien ciblé des services secrets
états-uniens aux réseaux islamistes extrémistes avait non seulement pour
but de déstabiliser le potentiel de la Russie et l’influence de la
Chine, mais aussi celui de sécuriser le contrôle par l’Occident, et en
premier lieu par Washington, des réserves stratégiques en énergie. Quand
ben Laden se transféra du Soudan en Afghanistan en juin 1996, le
Département d’État américain prévint que ce changement « pourrait s’avérer plus dangereux pour les intérêts des États-Unis, » car cela offrait à ben Laden « la
possibilité de soutenir des individus et des groupes qui ont l’envie et
les moyens nécessaires d’attaquer les intérêts américains presque
partout sur le globe. »[7] Le Pakistan lui offrit sa
protection à condition qu’il aligne ses combattants moudjahidines sur
les talibans. La nouvelle alliance al-Qaïda / talibans aurait été
approuvée par les Saoudiens.[8]
Pourtant, comme le très respecté correspondant pakistanais Ahmed Rashid
le rapporta, les renseignements états-uniens soutenaient les talibans
comme moyen d’influence régionale au moins entre 1994 et 1998. Cette
politique fut poursuivie jusqu’en 2000, en dépit de la multiplication
des avertissements. Ainsi, lorsque les talibans prirent Kaboul en 1996,
un porte-parole du Département d’État ne trouva « rien à redire » à l’événement. Un an plus tard, un diplomate américain commentait : «
Les talibans vont sans doute se développer comme les Saoudiens… On aura
Aramco (le consortium des compagnies contrôlant le pétrole saoudien),
des pipelines, un émir, pas de parlement et beaucoup de charia. On fera
avec. »[9]
Des auditions au Congrès confirmèrent un
soutien ininterrompu à l’alliance al-Qaïda / talibans jusqu’en 2000.
Témoignant devant une sous-commission sénatoriale des Relations
étrangères en Asie du sud, Dana Rohrabacher, membre du Congrès –
ancienne assistante spéciale à la Maison Blanche auprès du Président
Reagan et maintenant membre du Comité parlementaire des Relations
internationales – , déclara : « Cette administration mène une
politique secrète qui renforce les talibans et a permis que ce mouvement
violent s’empare du pouvoir. » L’hypothèse était que « les
talibans apporteraient la stabilité et permettraient la construction de
pipelines à travers l’Afghanistan d’Asie centrale jusqu’au Pakistan. »[10]
Unocal et Enron comptaient parmi les compagnies états-uniennes parties
prenantes du projet. Pas plus tard qu’en mai 1996, Unocal avait
officiellement annoncé ses plans pour un pipeline qui transporterait le
gaz naturel du Turkménistan au Pakistan à travers l’ouest de
l’Afghanistan.
Des
officiels états-uniens rencontrèrent plusieurs fois les talibans entre
2000 et l’été 2001, tâchant de leur faire accepter un gouvernement
d’union nationale avec leurs ennemis locaux, l’Alliance du Nord, en leur
promettant aide financière et reconnaissance internationale si l’accord
aboutissait. Mais les décideurs aux États-Unis finirent par conclure
que les talibans n’apporteraient jamais la stabilité nécessaire au
projet de pipeline. D’après le ministre pakistanais des Affaires
étrangères, Niaz Naik, qui était présent aux rencontres, les
officiels américains menacèrent les talibans d’une action militaire si
l’accord pour un gouvernement fédéral échouait. Même la date de cette
menace, octobre 2001, leur fut indiquée. Inutile de dire que les
talibans rejetèrent le plan.[11] Des mois avant les attaques terroristes du 11-Septembre, une guerre en Afghanistan était, de fait, déjà sur la table. Ainsi, Jean-Charles Brisard,
un ancien officier des renseignements français, avança l’idée que le
11-Septembre pouvait avoir été une attaque préventive d’al-Qaïda pour
déclencher l’invasion militaire déclarée de l’Afghanistan.[12]
Le pipeline suscite toujours un vif intérêt. « Depuis
l’offensive de Washington qui a écarté les talibans, notait Forbes en
2005, le projet a été ressorti des boites et bénéficie toujours d’un
fort soutien de la part des États-Unis » dans la mesure où il permettrait aux républiques d’Asie centrale d’exporter leur énergie sur les marchés occidentaux « sans dépendre des voies d’accès russes ». À l’époque ambassadeur des États-Unis au Turkménistan, Ann Jacobsen remarquait que « l’on envisage sérieusement ce projet, et il est très vraisemblable que des compagnies américaines s’y impliquent. »[13] Le problème actuel est que la portion sud du pipeline traverse un territoire contrôlé de facto par les talibans.
Mega Oil et les moudjahidines des Balkans au Caucase
Malheureusement, on sait aujourd’hui que
l’aventure entre les États-Unis et la connection al-Qaïda / talibans en
Afghanistan dans les années 1990 n’était qu’un épisode d’une politique
géostratégique plus large visant à sécuriser le transport des ressources
énergétiques primordiales à travers l’Eurasie, en soutenant les réseaux
islamistes affiliés à Ben Laden.
En 1991, la première administration Bush
voulut un pipeline pour le pétrole, qui traverserait le Caucase, de
l’Azerbaïdjan à la Turquie. Cette année-là, trois officiers de l’US Air
Force, Richard Secord (un ancien Secrétaire adjoint à la Défense pour les Affaires de sécurité internationale), Heinie Aderholt et Ed Dearborn, atterrirent à Bakou et y montèrent une nouvelle compagnie, Mega Oil. Ils étaient tous trois vétérans de précédentes opérations secrètes de la CIA au Laos et plus tard avec le Lieutenant Colonel Oliver North
dans le scandale de l’Iran-Contra. En Azerbaïdjan, ils établirent une
ligne aérienne pour acheminer des centaines de moudjahidines d’al-Qaïda
de l’Afghanistan jusqu’en Azerbaïdjan, transformant Bakou en une base
opérationnelle régionale pour le djihad.[14]
Les opérations secrètes contribuèrent au putsch qui renversa le président élu Abulfaz Elchibye cette même année, au profit d’une marionnette des États-Unis, Hiedar Aliyev. Un rapport secret des renseignements turcs révélé dans le Sunday Times confirma que « deux
géants du pétrole, BP et Amoco, respectivement britannique et
états-unien, qui constituent tous les deux l’AIOC (Consortium
international pour le pétrole de l’Azerbaïdjan) sont derrière le coup
d’État. »[15]
De 1992 à 1995, le Pentagone achemina
des milliers de moudjahidines d’al-Qaïda depuis l’Asie centrale jusqu’en
Europe, pour qu’ils combattent aux côtés des Bosniaques musulmans
contre les Serbes. Les moudjahidines étaient « accompagnés des forces spéciales états-uniennes équipées de matériel de communication de pointe, »
d’après des sources du renseignement. Les mercenaires de ben Laden
furent employés comme soldats de choc par le Pentagone pour « coordonner et soutenir les offensives des musulmans de Bosnie. »[16]
Le
schéma sera reproduit au Kosovo, où la violence ethnique éclata entre
Albanais et Serbes. En 1998, l’Armée de libération du Kosovo (KLA) était
fichée par le Département d’État comme une organisation terroriste
financée par ben Laden et par le trafic d’héroïne. Ben Laden avait
envoyé un de ses proches lieutenants, Muhammed Al-Zawahiri (frère
de Ayman Al-Zawahiri, bras-droit du leader), pour diriger une unité
d’élite de la KLA pendant le conflit du Kosovo. Il avait un contact
radio direct avec le commandement de l’OTAN. En effet, le SAS [Special Air Service, une unité spéciale de l'armée britannique - NdT] et les instructeurs de l’American Delta Force [une unité contre-terroriste de l'armée des États-Unis - NdT] entraînaient les combattants de la KLA depuis 1996.
La CIA fournit une assistance militaire
jusqu’à et pendant les bombardements de 1999 ; cela incluait des manuels
d’entraînement au combat, et des conseils de terrain, sous couvert de
l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) qui
surveillait le cessez-le-feu.[17]
Après la guerre du Kosovo, quand la KLA
déplaça ses opérations en Macédoine sous la bannière de la NLA (Armée de
libération nationale), ses liens avec al-Qaïda étaient plus forts que
jamais selon des sources des renseignements des États-Unis, de
Macédoine, d’Albanie et de Yougoslavie. En 2001, peu après une visite à
Tetovo, le reporter de guerre canadien Scott Taylor rapporta que « l’on ne peut pas nier l’apport considérable de l’OTAN aux guérillas en termes de matériel et d’expertise.»[18]
Alors, pourquoi les Balkans ? En1999, le Général Mike Jackson, à l’époque commandant des troupes de l’OTAN dans la région, résuma : « Nous resterons certainement longtemps ici pour garantir la sécurité des couloirs énergétiques qui traversent la Macédoine.
» Le Général faisait référence au pipeline trans-balkanique qui
traverse la Bulgarie, la Macédoine et l’Albanie, prévu pour être une des
principales routes vers l’Ouest pour le pétrole et le gaz d’Asie
centrale.[19]
À peu près au même moment, les
renseignements américains entreprirent de soutenir les moudjahidines
d’al-Qaïda en Tchétchénie. Traditionnellement, la Tchétchénie est dans
sa majorité une société « soufie », mais l’emprise grandissante
de moudjahidines soutenus par Washington et liés à Ben Laden transforma
la nature du mouvement de résistance tchétchène, renforçant la ligne
dure de l’idéologie islamiste d’al-Qaïda. Les liens avec le
renseignement états-unien avaient été établis sous la férule de Dick
Secord au début des années 1990 à Bakou, où les activités des
moudjahidines s’étaient rapidement propagées au Daguestan et en
Tchétchénie, faisant de Bakou un point d’embarquement de l’héroïne
afghane pour la mafia tchétchène.[20]
À partir du milieu des années 1990, ben
Laden fournissait plusieurs millions de dollars par mois aux leaders de
la guérilla tchétchène, Shamil Basayev et Omar ibn Al-Khattab, mettant ainsi sur la touche la majorité tchétchène modérée.[21] Les services secrets américains restèrent très impliqués jusqu’à la fin de la décennie. D’après Yossef Bodansky, à l’époque directeur de la Task Force sur le terrorisme et les guerres non-conventionnelles au Congrès des États-Unis, Washington était impliqué dans « un autre djihad anti-russe, ...
et cherchait à soutenir et à renforcer les forces islamistes
anti-occidentales les plus virulentes. » Les officiels du gouvernement
américain participèrent « à une rencontre formelle en Azerbaïdjan » en décembre 1999 «
au cours de laquelle furent discutés et acceptés des programmes
spécifiques d’entraînement et d’équipement des moudjahidines du Caucase,
d’Asie centrale et du sud, et du monde arabe, » qui se soldèrent par « l’encouragement
tacite de Washington aux alliés musulmans (en particulier la Turquie,
la Jordanie et l’Arabie Saoudite) ainsi qu’aux "compagnies privées de
sécurité" états-uniennes [...] à assister les Tchétchènes et les
islamistes alliés dans leur soulèvement au printemps 2000 et à aider
pour longtemps le djihad qui allait s’ensuivre. » Les États-Unis voyaient dans le soutien au « djihad islamiste dans le Caucase » un moyen de « priver la Russie d’un couloir viable pour ses pipelines, au moyen d’une spirale de violence et de terrorisme. »[22]
Algérie : terrorisme d’État sous couverture
Des
actions secrètes parallèles étaient conduites à cette même période en
Algérie, où l’armée annula en 1992 les élections démocratiques
nationales qui devaient amener au pouvoir le Front islamique du salut
(FIS) après un raz-de-marée électoral. Des dizaines de milliers
d’électeurs du FIS furent déportés dans des camps en plein Sahara,
tandis que le FIS et d’autres partis islamistes étaient interdits. Peu
de temps après l’opération, des centaines de civils furent
mystérieusement massacrés par un groupe terroriste inconnu, identifié
par la junte algérienne [au pouvoir] comme une branche radicale du FIS,
et qui déclarait s’appeler le Groupe islamiste armé (GIA). Le GIA était
largement constitué de vétérans des forces moudjahidines de Ben Laden,
qui étaient revenus d’Afghanistan à la fin des années 1980[23]. À la date d’aujourd’hui, le nombre total de victimes des massacres par le GIA s’élève à 150 000 civils.[24]
Cependant, à la fin des années 1990, le
gouvernement algérien dissident et certaines sources du renseignement
laissèrent émerger des preuves montrant que les atrocités attribuées au
GIA étaient en réalité imputables à l’État. Youssef-Joseph [Joseph
Gilles Breault, alias Youssef Mouammar, NdT], un agent secret de la
sécurité militaire [en français dans le texte, NdT] algérienne, s’exila
en Grande-Bretagne en 1997, et raconta au Guardian que les massacres de
civils en Algérie, imputés au GIA, étaient « l’œuvre de la police secrète et d’escadrons de la mort issus de l’armée… et non pas des islamistes extrémistes ». Le terrorisme du GIA était « orchestré » par « Mohammed Mediane, chef des services secrets algériens », et par « le Général Smaïn Lamari », chef de « l’agence de contre-espionnage ». D’après Joseph, «
Le GIA est un pur produit des services secrets de Smaïn Lamari. Je
lisais autrefois tous les télex secrets. Je sais que le GIA a été
infiltré et manipulé par le gouvernement. Le GIA a été complètement
retourné par le gouvernement… En 1992 Smaïn a créé un groupe spécial,
l’Escadron de la Mort… Cet escadron a organisé les massacres… Les
membres du FIS n’en étaient pas les auteurs. »
Joseph confirma également que des agents des renseignements algériens avaient organisé « au moins » deux des attentats à la bombe de Paris durant l’été 1995. «
L’opération était pilotée par le colonel Souames Mahmoud, alias Habib,
chef des services secrets à l’ambassade d’Algérie à Paris. » Le témoignage de Joseph a été corroboré par plusieurs transfuges des services secrets algériens.[25]
Les agences occidentales sont
impliquées. Des documents du Service secret britannique (Secret British
Foreign Office) révélés lors du jugement d’une affaire de terrorisme en
2000 ont montré que « les renseignements britanniques estiment que le
gouvernement algérien était impliqué dans les atrocités, ce qui
contredit le discours qu’il tenait en public. » Les documents faisaient état de « la manipulation du GIA, utilisé comme couverture pour mener leurs propres opérations, » et montraient qu’« il n’y avait pas de preuve du lien entre les attentats de 1995 à Paris et des militants algériens. »[26]
L’Algérie possède les cinquièmes
réserves de gaz naturel dans le monde avec environ 3700 milliards de m³
de gaz naturel prouvés, et est le second exportateur. Elle se place au
quatorzième rang pour les réserves de pétrole, avec des estimations
officielles se montant à 9,2 milliards de barils. Environ 90% du brut
algérien est exporté en Europe de l’Ouest, ce qui inclut la
Grande-Bretagne, la France, l’Italie, l’Allemagne, les Pays-Bas et
l’Espagne. Les premiers partenaires commerciaux de l’Algérie sont
l’Italie, la France, les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne.
Actuellement, le groupe algérien dissident Al-Qaïda au Maghreb islamique
(AQMI) – connu auparavant comme le Groupe salafiste pour la prédication
et le combat (GSPC) – joue un rôle prédominant dans la violence
terroriste régionale. Pourtant, dans une série d’analyses de grande
envergure conduites pour la Review of African Political Economy, l’anthropologiste des sociétés, Jeremy Keenan, directeur des Études sahariennes à l’université de East Anglia, parle d’ «
un nombre croissant de preuves qui suggèrent que la multiplication
supposée des activités terroristes à travers pratiquement tout le Sahara
sahélien a en effet été un trompe-l’œil sophistiqué de la part des
services de renseignements militaires des États-Unis et de l’Algérie. » Il parle de preuves montrant que la prise en otage de touristes européens par al-Qaïda en 2003 « fut initiée et orchestrée par des éléments au sein de l’appareil militaire algérien, » une opération « autorisée par les États-Unis, » et que le leader d’al-Qaïda, Ammar Saifi (appelé également Abderazzak El Para, ou encore « le ben Laden du Maghreb »), « fut "retourné" par les forces de sécurité algériennes en janvier 2003. »[27]
L’hégémonie
énergétique est une priorité fondamentale. L’activité d’al-Qaïda
signalée en Afrique du Nord s’est concentrée dans les régions riches en
pétrole, en particulier dans le Delta du Niger, au Nigéria et au Tchad.
Ainsi, en juillet 2003, Keenan écrit que, sous les auspices de
Washington, l’Algérie, le Tchad, le Niger et le Nigéria « ont signé
un accord de coopération pour le contre-terrorisme qui réunit de part et
d’autre du Sahara les deux zones riches en pétrole, dans un ensemble
d’accords de sécurité dont l’architecture est purement américaine. » Aujourd’hui [en 2009], cet ensemble s’est mué en une Initiative trans-saharienne de contre-terrorisme (Trans-Sahara Counterterrorism Initiative)
dotée de 500 millions de dollars, dans laquelle l’Algérie joue un rôle
pivot pour les plans états-uniens de déploiement militaire à venir dans
la région. L’accord de sécurité coïncide avec l’inauguration d’un projet
de la Banque mondiale de 6 milliards de dollars, le pipeline pétrolier
Tchad-Cameroun.[28]
L’extrémisme islamiste et la connexion israélienne
Curieusement, Israël joua un rôle clé dans certaines de ces politiques, à commencer par l’implication du membre du Congrès, Charlie Wilson, qui profita de sa position au Comité parlementaire restreint sur le renseignement (House Select Committee on Intelligence),
acquise grâce au soutien du sénateur Dick Cheney, pour drainer une aide
de plusieurs milliards de dollars à la fois pour Israël et pour les
moudjahidines afghans[29]. Gust Avracotos, le responsable de la CIA à Islamabad remarqua que Wilson impliqua « les Israéliens dans le djihad musulman de la CIA, »
créant l’opportunité pour le Mossad de pénétrer l’ISI et al-Qaïda, et
pour Israël de signer des contrats d’armements et d’établir des liens
avec le Renseignement pakistanais.[30]
Plus localement, Israël joua un jeu
similaire dans sa relation ambigüe avec le Hamas. Le gouvernement des
États-Unis et plusieurs sources du renseignement confirment qu’Israël a
fourni une aide directe et indirecte au Hamas à la fin des années 1970,
pour contre-balancer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)[31] D’après les experts israéliens en affaires militaires, Ze’ev Schiff et Ehud Ya’ari, lors de la première intifada, le Fatah «
suspectait les Israéliens d’un complot visant à la fois à laisser le
Hamas reconstituer ses forces, et à le lâcher contre l’OLP, transformant
ainsi le soulèvement en guerre civile… beaucoup d’officiers israéliens
étaient convaincus que la montée du fondamentalisme à Gaza pourrait être
exploitée pour affaiblir le pouvoir de l’OLP. »[32]
Le
soutien d’Israël au Hamas aurait même continué après les accords d’Oslo
en 1993, pendant la période des pires attentats suicides.[33] Yasser Arafat lui-même, le dernier président de l’Autorité palestinienne, déclara en 2001 que le Hamas «
continuait de bénéficier de permis et d’autorisations, tandis qu’on
nous imposait des limites, y compris pour construire une usine de
transformation de tomates… Des collaborateurs d’Israël sont impliqués
dans ces attaques [terroristes]. »[34]
En effet, certaines informations
montrent que l’assassinat par Israël du leader du Hamas, Abou Hanoud en
novembre 2001 visait à provoquer davantage d’attentats à la bombe. Trois
mois plus tôt, le Israeli Insider mentionna le plan d’Ariel Sharon pour
une attaque massive contre l’Autorité palestinienne qui la détruirait
définitivement, en indiquant que ce plan « serait lancé immédiatement après le prochain attentat suicide très meurtrier, »
qui fut provoqué plus tard par l’assassinat extrajudiciaire d’Hanoud
par Israël. Un analyste militaire israélien, Alex Fishman, remarquait
que « quiconque donnait son feu vert à cette liquidation savait bien
qu’il romprait d’un coup l’accord amiable entre le Hamas et l’Autorité
palestinienne. Selon
cet accord, le Hamas devait éviter toute attaque suicide dans
l’immédiat à l’intérieur de la Ligne verte (la frontière d’avant 1967),
s’étant rendu compte qu’il valait mieux ne pas défier Israël sous son
nez par des attaques massives dans les zones peuplées. Cette prise de
conscience s’est néanmoins retrouvée réduite à néant avant-hier, et la
personne, quelle qu’elle fut, qui a décidé de liquider Abou savait à
l’avance quel en serait le prix. Le sujet avait été longuement débattu
par les militaires et par les responsables politiques, avant que la
liquidation ne soit décidée. »[35]
Des éléments de l’extrême-droite
israélienne, dont certains hauts responsables du gouvernement,
reconnurent que le plan de détruire l’Autorité palestinienne
faciliterait la montée du Hamas. Dans une rencontre du gouvernement
israélien en décembre 2001 par exemple, un ministre déclarera : « Entre le Hamas et Arafat, je préfère le Hamas. » Il ajoutera qu’Arafat est un «
terroriste en costume de diplomate, alors que le Hamas peut être frappé
sans pitié… il n’y aura pas de protestation internationale. »[36]
Les liens avec le terrorisme
Le terrorisme islamiste ne peut être
compris que dans la mesure où l’on se rend compte que ses réseaux sont
utilisés par les services de renseignement militaires occidentaux, à la
fois pour contrôler des ressources énergétiques stratégiques et pour
contrer des rivaux géopolitiques. Aujourd’hui encore, presque une
décennie après le 11-Septembre, le soutien secret aux réseaux d’al-Qaïda
continue. Dans de récents articles pour le New Yorker, le journaliste
d’investigation Seymour Hersh cite des officiels du gouvernement
et des renseignements des États-Unis confirmant que la CIA et le
Pentagone ont transféré par l’Arabie Saoudite plusieurs millions de
dollars à des groupes sunnites extrémistes affiliés à al-Qaïda, à
travers le Moyen-Orient et l’Asie centrale. La politique, qui a débuté
en 2003, d’après Hersh, concernait des régions comme l’Irak et le Liban,
pour alimenter le conflit religieux entre chiites et sunnites[37].
Le programme fait partie d’un projet visant à contrer l’influence
chiite de l’Iran dans la région. Début 2008, un Rapport présidentiel du
Congrès corrobora les dires de Hersh, affirmant que la CIA avait alloué
400 millions de dollars à divers groupes anti-chiites extrémistes et
terroristes. Ce qu’aucun membre démocrate du Parlement ne contesta[38]. À présent, le Président Obama a maintenu à son poste le Secrétaire à la Défense de Bush, Robert Gates.
Pourtant, Gates était l’architecte de la stratégie secrète contre
l’Iran. Jusqu’à aujourd’hui, Obama n’a jamais laissé entendre que cette
stratégie changerait. L’histoire résumée ici jette une ombre sur la
façon dont on comprend dans son ensemble la « Guerre contre la Terreur
». Comment peut-on faire la guerre à un ennemi que nos propres
gouvernements financent en secret pour des intérêts politiques à court
terme?
Si nous voulons en finir avec la « Guerre contre la Terreur »,
ce ne sera pas en menant une nouvelle guerre vaine pour le pétrole.
Cela se fera dans nos propres pays, en exigeant que les structures
secrètes au sein de nos propres gouvernements nous rendent des comptes,
et en poursuivant les responsables au motif qu’ils aident et favorisent
le terrorisme, que ce soit délibérément ou par négligence criminelle.
Rien d’autre, en fin de compte, n’arrêtera ces agences de « sécurité » qui renforcent « l’ennemi » que nous sommes censés combattre.
Nafeez Mosaddeq AhmedTraduction C.Doure pour ReOpenNews
Notes de l’auteur :
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- Dana Rohrabacher, ‘US Policy Toward Afghanistan,’ Statement before Senate Foreign Relations Subcommittee on South Asia (Washington DC: US Senate, 14 avril 1999). Voir aussi Rohrabacher, Statement before Hearing of the House International Relations Committee on ‘Global Terrorism And South Asia,’ (Washington DC: US House of Representatives, 12 juillet 2000).
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- ‘Exclusive: Secret Bush ‘Finding’ Widens Covert War on Iran’, Counterpunch (2 mai 2008)http://www.reopen911.info/News/2012/04/11/al-qaida-le-terrorisme-fabrique-indispensable-a-loccident/
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